Comptes rendus
Havard Duclos Bénédicte, Nicourd Sandrine, Pourquoi s'engager ?
Bénévoles et militants dans les associations de solidarité, (2005),
Payot.
Maud SimonetEmail Address
Grass (CNRS), 59,61 rue Pouchet, 75017 Paris, France
L'objectif de l'ouvrage, résumé par les auteurs en page 14, est de «
comprendre en situations comment les militants et bénévoles restent
liés aux organisations pour produire de la solidarité, pourquoi et
comment un engagement parvient dans la durée à s'enraciner et à
perdurer ou au contraire, conduit au départ ». Pour mener à bien ce
projet, Bénédicte Havard Duclos et Sandrine Nicourd s'appuient sur
deux enquêtes, qu'elles ont menées pendant cinq ans, dans deux
associations, en combinant entretiens biographiques et observations
ethnographiques, souvent participantes. La première de ces deux
associations, créée en 1984 et rebaptisée Alphasol à l'occasion de la
publication, est « une association de proximité rassemblant des
bénévoles et des salariés autour d'activités pour l'intégration des
immigrés (alphabétisation, permanence d'écrivain public, soutien
scolaire) » (p. 12). La seconde association étudiée est le Dal,
association Droit au logement « suffisamment connue et médiatisée »
précisent les auteurs « pour que son nom ne soit pas modifié » (p.
9). Certes, comme il est précisé d'emblée au début de l'ouvrage, le
Dal et Alphasol différent fortement, tant par leur positionnement
idéologique que par le profil sociodémographique des militants
qu'elles attirent et le type de sociabilité qui s'y noue ; à
l'hétérogénéité des milieux sociaux et l'évitement des questions
politiques à Alphasol répond la sociabilité plus « communautaire »,
d'emblée politisée et davantage populaire du Dal. Toutefois, parce
que le public en direction duquel ces deux associations interviennent
est relativement proche et parce qu'elles revendiquent toutes deux
une action fondée sur la « solidarité » avec celui-ci - quand bien
même elles donnent à cette valeur un contenu différent - elles se
prêtent bien à cette perspective comparée et permettent aux auteurs
d'en tirer une analyse qui a vocation à dépasser le cadre strict de
ces deux monographies. A partir de quatre entrées qui constitueront
les quatre chapitres principaux de l'ouvrage, les auteurs vont
chercher à mettre en lumière les ressorts de ces engagements
bénévoles et militants, ressorts en partie construits par les
organisations elles-mêmes, confrontées comme elles le sont à cette
même nécessité d’« attirer et de retenir des bénévoles prêts à
s'engager au nom de la solidarité » (p. 13). Rester fidèle à une
association suppose donc que son utilité sociale soit reconnue par
les autres (le public, l'association), que son engagement ait un sens
par rapport à son histoire singulière, que l'on y trouve des
gratifications (opportunités professionnelles, sociabilité) et enfin
que l'on se trouve en correspondance avec les engagements valorisés
par l'époque.
Écrit dans une langue toujours claire et jamais jargonnante, à la
fois riche et vivant, documenté et illustré, cet ouvrage s'adresse à
n'en pas douter à un lectorat qui dépasse « le petit milieu des
sociologues qui travaillent sur les associations ». Reste que c'est
sans doute en le réinscrivant dans l'ensemble des recherches menées
dans ce champ que l'on peut le mieux mesurer et son apport et son
originalité.
A un moment où la plupart des travaux sur l'engagement soulignent sa
labilité et son affranchissement à l'égard des structures
organisationnelles, voilà un ouvrage qui se penche sur l'entrée en
association et l'entretien de la « vocation »… Le décalage de
problématique n'est pas fortuit ; il est inscrit, au contraire, comme
on peut le lire dans le dernier chapitre de l'ouvrage, dans une
critique fine et argumentée du discours social et sociologique actuel
sur « les transformations du militantisme » et « l'émergence de
nouveaux militants ». Sans mettre en cause l'existence de ces modes
d'engagements « distanciés », « autonomes » et « pragmatiques », les
auteurs en questionnent la montée en généralité et la modélisation.
Plus que l'engagement, à la fois plus pluriel et plus stable qu'il
n'y paraît, c'est surtout « la bonne façon de s'engager » qui aurait
changé. Bénédicte Havard Duclos et Sandrine Nicourd pointent alors la
dimension à la fois normative et rhétorique de ces discours, plus ou
moins savants, qui « prétendent décrire la réalité mais en
l'utilisant pour ne valoriser qu'une partie de celle-ci et en
dévaloriser une autre », c'est à dire le modèle du militantisme
ouvrier institutionnalisé. Elles mettent ainsi en lumière comment
dans un moment historique donné, les recherches en sciences sociales
participent aux côtés, mais aussi à la frontière, des ouvrages pour
le grand public, des articles de presse, ou des publications
militantes, à la construction des figures légitimes de l'engagement.
Le dernier chapitre constitue à ce titre une contribution
épistémologique précieuse à un champ scientifique qui a parfois du
mal à se départir, sinon d'un discours laudatif, du moins d'un a
priori positif sur son objet. On a alors envie de demander aux
auteurs de poursuivre ce travail de mise au jour et d'analyse des
dimensions normatives de l'engagement et d'interroger, à partir de ce
même regard critique et de ce même effort de distanciation, les
autres « points d'ancrage de l'engagement » analysés dans les
chapitres précédents. Tout comme « l'autonomie de l'engagement »
valorisée par les « spécialistes » (sociologues, journalistes, ou
leaders associatifs), « l'utilité sociale » recherchée par les
bénévoles est une norme sociale, historiquement construite et
culturellement située ; norme sociale qui s'inscrit, en France
aujourd'hui, au cœur de ce « processus d'idéalisation de la vie
associative » que les auteurs ont, à raison, entrepris de désenchanter.
Sociologie du travail
Vol: 48 Issue: 4, October - December, 2006 Article Full Text PDF
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pp: 584-585