[movimenti.bicocca] Militantisme et hiérarchiesde genre

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Author: Tommaso Vitale
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To: ML movimenti Bicocca
Subject: [movimenti.bicocca] Militantisme et hiérarchiesde genre
Militantisme et hiérarchies de genre
Un numéro de la revue "Politix" (n° 78, 2007, 197 p.)

Sommaire

Editorial. Militantisme et hierarchies de genre

Olivier Filleuile, Lilian Mathieu et Patricia Roux
Introduction.

Jean-Gabriel Contamin
Genre et modes d’entrée dans l’action collective. L’exemple du
mouvement pétitionnaire contre le projet de loi Debré

Cécile Guillaume
Le syndicalisme à l’épreuve de la féminisation. La permanence «
paradoxale » du plafond de verre à la CFDT

Judith Taylor
Les tactiques féministes confrontées aux « tirs amis » dans le
mouvement des femmes en Irlande

Sylvia Faure et Daniel Thin
Femmes des quartiers populaires, associations et politiques publiques

Laure Bereni
Du MLF au Mouvement pour la parité. La genèse d’une nouvelle cause
dans l’espace de la cause des femmes

Céline Granjou
Quand la précaution se fait discrète. L’État et les professionnels
dans la co-production d’une politique sanitaire

Philippe
La carte parisienne du bruit. La fabrique d’un nouvel énoncé de
politique publique

Notes de lecture

Par Igor Martinache

Cette nouvelle « livraison » (selon l’expression consacrée) de la
revue Politix se penche sur un angle mort de la recherche en sciences
sociales : la question des rapports de genre au sein des
organisations militantes. Jusqu’à récemment, lorsque ces deux objets
que constituent le genre et le militantisme étaient croisés, c’était
essentiellement sous l’angle des mouvements féministes. Une approche
incontestablement réductrice de la place du genre dans la
conflictualité sociale : tel est le constat que dressent aujourd’hui
les chercheurs en sciences sociales, et que ce numéro thématique
contribue à corriger.

Coordonné par une chercheuse en études de genre, Patricia Roux, et
deux spécialistes des conflits sociaux, Olivier Fillieule et Lilian
Mathieu, ce dossier entend donc prolonger un « dialogue » entre ces
deux champs de recherche, initié en 2004 à l’occasion d’un colloque
international à Lausanne. Un dialogue qui est aussi, expliquent ces
chercheurs en introduction, une mise à l’épreuve réciproque du
militantisme et de la construction de genre.

Première mise en pratique de cette démarche, l’article de Jean-
Gabriel Contamin consacré au mouvement pétitionnaire contre le projet
de loi Debré sur l’immigration en 1997. Un objet particulièrement
opportun pour mettre en lumière les rapports de genre dans la mesure
où il s’agit d’un mouvement social développé sans structure
organisationnelle préalable. L’auteur a ainsi dépouillé un corpus
constitué par les lettres envoyées par les signataires de la
pétition, principalement auprès de la Ligue des droits de l’homme et
du quotidien Libération. Cela lui permet de repérer une présentation
de soi différenciée selon les sexes, et qui renvoie elle-même à une «
loi d’airain de la patriarchie » qui sévirait au sein des mouvements
sociaux. Peu d’organisations échapperaient ainsi à une
hiérarchisation « genrée » des tâches qui conduit à une
invisibilisation de la participation des femmes, à la fois sociale et
épistémologique.

Dans sa contribution, Cécile Guillaume s’intéresse elle aux rapports
de genre dans l’action syndicale. Elle constate « la permanence «
paradoxale » d’un plafond de verre à la CFDT », malgré la position
pionnière de cette organisation en matière de mixité dès le début des
années 1980. Si la féminisation des syndicats s’est en effet bien
opérée au niveau des adhérents, ce n’est pas le cas concernant la
distribution des mandats. Cela tient aux conditions plus ou moins
tacites à remplir pour effectuer une carrière de représentant
syndical qui sont largement plus favorables au genre masculin tel
qu’il a été socialement construit jusqu’à aujourd’hui, ainsi que la
chercheuse le détaille. Alors que les ressources partisanes sont
décisives en la matière, celles qu’apportent aux femmes leurs
contraintes familiales ne sont à l’inverse pas reconnues pour
effectuer une carrière syndicale. Autrement dit, l’engagement public
a un coût plus élevé qu’il n’y paraît sur la vie privée, notamment
des femmes, tout en offrant à ces dernières une « rentabilité
inférieure » de leurs « investissements » humains à celle de leurs
homologues masculins. Tout cela aboutit à un épuisement des vocations
militantes plus marqué pour les femmes que les hommes.

Judith Taylor quant à elle s’intéresse, dans le contexte du mouvement
pour le droit à l’avortement irlandais, aux tactiques des mouvements
féministes confrontés au « tirs amis », c’est-à-dire aux groupes qui
sans s’opposer frontalement à un mouvement social, n’en constitue pas
moins une menace pour celui-ci. A travers une enquête de terrain
approfondie et une perspective éminemment stratégique, elle se
demande ici dans quelle mesure le Parti socialiste ouvrier, et plus
généralement les hommes, représentent ou non des alliés ou un
obstacle au mouvement des femmes du début des années 1990. Elle en
conclut que le genre constitue bel et bien une variable déterminante
dans la définition des acteurs et de leurs tactiques déployées.

De leur côté, Sylvia Faure et Daniel Thin mettent en lumière le
travail des associations d’habitantes de quartier populaire, souvent
à contre-courant du très médiatique mouvement Ni putes ni soumises.
Rejoignant les observations de deux enquêtes parallèles, ils
distinguent deux types principaux parmi ces associations- «
familialistes » ou accompagnant des politiques publiques, puis
décrivent finement le travail de socialisation - notamment politique
- qui s’effectue en leur sein. Ils montrent ainsi notamment comment
les « mouvements de femmes » puisent leurs origines dans le
développement du travail social, en particulier celui des femmes-
relais au sein des quartiers en question.

Retracer la genèse d’un mouvement social est aussi l’objectif de
Laure Bereni. Celle-ci montre ainsi dans sa contribution comment le
radicalisme initial du Mouvement de libération des Femmes (MLF),
hostile à la représentation politique, a pu aboutir après quelques
décennies à l’apogée d’une nouvelle cause dominante dans l’espace des
femmes, le mouvement pour la parité, principalement porté par des
partis, de gauche comme de droite.

Enfin, le dossier est complété par deux articles hors thèmes, qui
valent notamment pour leur méthodologie. Ainsi Céline Granjou montre-
t-elle, à travers le cas de l’épidémie de la « vache folle »,
l’action publique sanitaire visant la mise en œuvre le principe de
précaution résulte bien moins l’imposition de règlements étatiques «
par le haut » que d’une co-production de savoirs et de normes entre
l’Agence française de sécurité sanitaire (Afssa) et le monde des
éleveurs. De son côté, Philippe Zeitoun étudie la carte du bruit
routier publiée en 2003 par la Ville de Paris. Le moyen pour lui de
confirmer l’attention croissante portée depuis quelques temps par un
certain nombre de chercheurs à l’influence des instruments dans la
mise en œuvre de politiques publiques [1]. Un point de vue confirmé
par la réponse d’un membre du cabinet de l’adjoint au Maire de Paris
en charge de l’environnement à qui l’enquêteur demande « pourquoi le
problème du bruit est-il si important ? » : « Parce que la carte
existe ! ».

[1] Voir notamment Gouverner par les instruments dirigé par Pierre
Lascoumes et Patrick Le Galès, Presses de Sciences-Po, 2004.